Culture : fardeau ou ressource pour le design ?

Dans une table ronde sur le design à France inter produite par Dorothée Barba avec Dominique Sciamma et Matali Crasset, j’ai proposé de définir le design par son rapport dual à la culture : une culture fardeau versus une culture ressource.

Je tire cette expression d’un ouvrage de l’historien du marketing, Frank Cochoy signalé par Gilles Lejeune, qui explique comment l’espace américain a offert aux nouveaux venus « une opportunité décisive : pouvoir, pour la première fois, cliver l’ensemble des éléments constitutifs de la veille Europe, faire le tri. […] A l’abri sur une terre vierge, les pionniers étaient en mesure de mobiliser à leur gré, au sein de leur héritage culturel européen, les éléments qu’ils estimaient susceptibles de favoriser la fondation d’une société nouvelle, et de laisser de côté ceux qu’ils pensaient contraire à leurs objectifs » (Cochoy, Une histoire du marketing. Discipliner l’économie de marché, La Découverte, 1999). J’ajouterai que la même histoire se rejouera plus tard entre la côte Est des Etats-Unis et la côte Ouest, berceau de la Silicon Valley.

Ainsi, il existe deux grandes traditions et théories du design qui se focalisent :

  • soit sur la façon de se défaire d’une « culture fardeau » qui nous englue dans des habitudes, des valeurs, des quasi réflexes. La recherche sur le design étudie alors les conditions et les méthodes permettant de s’extraire de ces contraintes (du passé ou de l’environnement du designer). La théorie CK  (Concept / Knowledge) de Hatchuel etWeill ) en est un exemple.
  • soit sur la façon de puiser dans une « culture ressource » qui donne une multitude de pistes à mobiliser pour adapter le design aux terrains et aux besoins. De nombreux chercheurs en design se concentrent ainsi sur la façon dont les designers s’adaptent aux problèmes des gens ou de la terre, sur la façon dont ils répondent aux attentes et aux valeurs (sociales, éthiques ou esthétiques). Ce dernier point est au cœur de la réflexion du Design Thinking.

La culture apparaît donc soit comme un ensemble de facteurs et de contraintes, soit comme un « espace potentiel ». Cependant, ces interprétations passent à côté d’un point important : les pratiques, les objets, les valeurs, les environnements créés par l’homme sont non seulement vécus mais expliqués, remis en question et discutés. Le chercheur en communication Yves Jeanneret, soulignant que la culture est transformable parce qu’elle peut être débattue, comble le fossé entre culture et communication. Par notre capacité à discuter des « choses », nous pouvons les transformer comme l’a bien démontré la thèse de Max Mollon. Cette dynamique nécessite un dispositif qui confronte des éléments et des personnes hétérogènes qui s’efforcent ensuite d’inventer de nouveaux concepts ou objets. C’est ce que j’ai montré avec, entre autres, la pratique poétique de l’oxymore dans le design [2]. L’oxymore en rassemblant des termes sans rapport évident est une façon à la fois d’évoquer les cultures et de les remettre en jeu.

Conclusion : pour le design, parlons de « cultures » au pluriel

Sur le plan scientifique, la confrontation de différentes cultures du design, comme celle que propose Pierre Lévy qui travaille ensemble culture occidentale et culture japonaise, nous oblige non seulement à réorganiser et en élargir notre champ de connaissances mais aussi à inventer de nouveaux concepts et de nouvelles perspectives sur le design.